mercredi 20 janvier 2010

Marcel Aymé, un écrivain décrié et humilié par l'intelligentsia de son époque et celles d'après...



Marcel AYME – Chronique Yung.



Marcel Aymé ? Ses romans, ses nouvelles ont connu de grands et beaux succès. Ses pièces de théâtres ont été célébrées par le public. Ses dialogues sont, pour bon nombre d’entre eux, entrés dans la légende cinématographique (souvenez-vous de la fameuse réplique : « salaud de pauvres ! » dites par Jean Gabin face à un couple de cafetiers qui exploite de jeunes enfants juifs dans la « Traversée de Paris »). Marcel Aymé a été, en son temps, l’un des écrivains les plus lu. Sans cesse réédité, son œuvre entière est à notre disposition. Il faut lire ou relire Marcel Aymé. Pourquoi ? D’abord parce que cet écrivain du 20° siècle a décrit, avec un réalisme intense, les structures sociales et les mœurs de la société française des années de la seconde guerre mondiale et de celles qui l’ont suivies ; qu’il est l’un des rares auteurs à avoir, avec talent, user du fantastique pour ironiser sur l’hypocrisie, l’avidité et la violence de nos contemporains. Ensuite, parce que s’intéresser aujourd’hui à l’œuvre de Marcel Aymé est une juste revanche contre les intellectuels et critiques de son époque qui ont voulu que son nom n’apparaisse jamais au frontispice des belles-lettres. En effet, Marcel Aymé –à l’exception de quelques uns dont François Mauriac- n’a jamais réussi à se faire reconnaître par ses pairs. Il est vrai que son anticonformisme et ses comportements intellectuels ont dérouté bon nombre d’entre eux. Ces attitudes l’ont conduit au pilori de l’infamie avant que l’incompréhension, l’intolérance, la bêtise et la haine l’accusent de collaborationnisme avec l’occupant allemand. Mais la chose n’est pas si simple et aurait méritée d’être examinée plus au fond sachant que le manichéisme est l’ennemi des mémorialistes. Et encore : aurait-il fallu que des historiens étudient le cas de Marcel Aymé. Cela n’a pas été fait par peur -peut-être ?-  qu’une étude objective et approfondie de son œuvre taxe son auteur de réactionnaire voire de fasciste. C’est dire si la méchanceté d’une époque ternie toujours la mémoire de Marcel Aymé pour qu’ainsi l’université n’éprouve point trop le besoin de l’étudier sans a priori. Marcel Aymé a-t-il ou pas collaboré avec l’ennemi allemand ? Il est vrai qu’il a, durant l’occupation, publié de nombreuses nouvelles et quelques romans dans des journaux à la botte du régime de Vichy (« La gerbe » et « Je suis partout », par exemple) ; c’est vrai qu’il a, une fois, sollicité, pour le financement d’un film, la « Continental » société de production cinématographique complice de la propagande du troisième Reich. Une démarche qui lui vaudra d’ailleurs, à la Libération, un « blâme sans affichage ». Mais dans le même temps –et faut-il pour autant donner un sens à cette contradiction ? – il a fait équipe avec le réalisateur marxiste Louis Daquin. Par ailleurs, avant 1939, Marcel Aymé a tourné en dérision le régime nazi et c’était dans « Travelingue », « La carte » ou le « Décret » tiré du recueil de nouvelles « Le passe muraille ». Il a aussi écrit des romans qui parlent, avec férocité, de la France des années 40 et de l’épuration avec ses acteurs du « marché noir », « ses dénonciateurs et leurs règlements de comptes revanchards et injustes (pour s’en convaincre il suffit de relire « Uranus »). Et puis, Marcel Aymé ne s’est pas fait d’amis chez les magistrats qui tous, sauf un (Paul Didier), ont prêté serment à Pétain. Il faut dire qu’il leur a recommandé de faire « un stage de deux ou trois mois en prison avant de juger les autres »… C’était dans « La têtes des autres » une pièce de théâtre qui, soulignons-le ici, a été parmi les premières à dénoncer la peine de mort.

Alors, aujourd’hui il serait inique d’ignorer l’œuvre de Marcel Aymé. Ce serait une nouvelle façon de se joindre un peu à l’ignominie de ses détracteurs d’antan.

Antoine Blondin a écrit « L’ignorance dans laquelle la critique et les manuels de littérature ont tenu l’œuvre de cet écrivain relève du scandale culturel ». Mais Blondin était un « Hussard » direz-vous peut-être. Alors, prenons Jean-Louis Bory dont il est difficile d’imaginer qu’il a été à la droite de l’échiquier politique. Eh bien, Jean-Louis Bory a déclaré : « Mes deux passions sont Aragon et Marcel Aymé. J’ai écrit « Mon village à l’heure allemande », en pensant à Marcel Aymé. Alors, n’est-il pas temps de réhabiliter Marcel Aymé ? Ce  serait justice que de célébrer le grand écrivain qu’il est et l’homme libre qu’il a été !
Eric Yung.