BSC NEWS/ Copie : Chronique numéro de juillet-août.
2011-07-18
POLARS ET ROMANS NOIRS, ATTENDEZ-VOUS A SAVOIR…
Par ERIC YUNG
Autrefois, une fameuse journaliste de ce qui était encore « Radio Luxembourg » -elle s’appelait Geneviève Tabouis - avait l’habitude, pour attirer, d’emblée, l’attention de ses très fidèles auditeurs, de débuter ses chroniques politiques (de 1949 à 1967), d’une voix haut perchée et un tantinet nasillarde par un tonitruant « Attendez-vous à savoir… », une expression devenue célèbre au fil du temps. Aujourd’hui, il n’y a pas de meilleure formule que celle-ci pour vous demander, chers amis lecteurs et lectrices de BSCNEWS Magazine, de vous mobiliser et apprécier, en exclusivité, quelques bons livres qui - c’est certain ! – feront l’événement, en septembre, de la rentrée littéraire.
Alors, attendez-vous à savoir… que Jean-Claude Pirotte est de retour.
Il publie « Place des Savanes » aux éditions du Cherche-Midi, un roman qui sera en librairie dès le 12 août prochain. Et c’est fort et c’est beau et ça a de la gueule et du style. Enfin, c’est du Pirotte ! Roman noir par excellence (mais qui peut déstabiliser un peu le lecteur qui ne connait pas encore l’imaginaire de l’auteur) « Place des Savanes » nous raconte à la première personne du singulier les aventures d’un jeune garçon qui se nomme Ange Vincent. Mais peut-être n’est-ce pas lui qui nous narre son histoire. Peut-être n’est-ce pas ce gamin qu’il a été, celui qui, dans son lit, attendait le sommeil tandis que « certaines nuits la lune entrait par la lucarne, et que la flamme de la bougie alors se tenait droite » jusqu’à ce que sa grand-mère entre dans sa chambre et lui dise « je mouche la chandelle, mais je te laisse la lune ». Non, peut-être qu’il ne s’appelle pas Ange Vincent. Mais qui est-il alors ? Se nomme-t-il Armen Lubin, le poète qui, répond à un vieux flic assis à sa table, dans une brasserie : - N’ayant plus de maison ni logis,
- Plus de chambre où me mettre,
- Je me suis fabriqué une fenêtre, sans rien autour.
Armen Lubin ? C’est possible sans que ce soit certain. Mais qui est-il donc celui qui fait entendre sa voix tout au long du roman ; cette voix parfois sourde, parfois légère mais toujours monocorde. C’est un homme qui ignore son identité, qui ne connaît de sa naissance que son lieu. Et encore, il en sait seulement la première lettre : « S ». Quant à l’enfance ? La sienne est pareille à toutes les autres et « explore candidement un enfer de miroirs et de greniers obscurs, où les imageries d’un présent sans mémoire se bousculent ». Alors, le vieux flic a beau l’interroger sur l’assassinat qui vient de se commettre, le héros principal du livre ne parlera pas. Et puis, l’environnement du crime est, faut-il dire, inhabituel puisque le mot étrange qui pourrait qualifier le petit monde dans lequel se meuve les personnages de Jean-Claude Pirotte n’est pas suffisamment fort et renverrait trop, ici, à d’habituelles références du roman noir français. Enfin, constatez par vous-même ! La construction de l’énigme n’est pas en soi le piment de « Place des savanes » et en plus, l’auteur s’arrange pour que nous puissions en trouver la clé, facilement. Elle est en effet toute proche de nous et doit être cherchée chez un vieil homme, le grand-père Del Amo. Un drôle de type qui vit, entouré de deux sœurs prénommées Ma, dans une maison bizarre. Deux femmes qui servent rituellement le thé et le saké au patriarche et à ses invités. Deux geishas qui ne sont que « des objets précieux dans la mesure où l’on évite de leur prêter des pensées ou des sensations conformes à leur aspect et leur morphologie » mais qui sont « la barbarie même sous le vernis de la suavité ».
« Place des savanes » est, sans aucun doute, une œuvre dominée par la force de l’écriture et un univers lyrique. Mais, c’est aussi un livre qui sent le souffre, celui –selon la tradition biblique- aimé par Satan et qui est le symbole du châtiment. La vérité de ce roman est peu commune : tout le monde est coupable et complice. Et puis, sans dévoiler la fin de l’histoire sachez que dans les 142 pages qui constituent le récit il y a du sérieux grabuge : le tueur est un « ex-taulard, un maquereau sans foi ni loi », l’arme du crime, restée introuvable, « a été démontée et ses pièces détachées sont en train d’accélérer la fermentation dans les fûts du beaujolais de la Taverne » et l’assassin lui-même a été flingué. Et dire que tout cela a un sens ! Lequel ? C’est la vraie énigme à découvrir.
Lire « Place des savanes » c’est prendre le risque d’aimer Jean-Claude Pirotte, autrement dit d’aimer l’un des grands romanciers de ce temps.
Attendez-vous à savoir que « Le plan Q » titre du dernier roman de Djuro Luy n’est en rien un livre érotique. C’est un polar presque classique. Il vient de paraître aux éditions Biro & Cohen dans la nouvelle collection « Art Noir » dont la maquette est fort réussie : livre présenté en format de poche, papier épais et pagination dense dont les tranches (tête, queue et gouttière) sont unifiées en noir. Joli, réussi ! L’idée générale de ce spicilège est d’avoir demander à des auteurs de romans noirs et policiers d’écrire une fiction ayant pour thème, uniquement, le milieu de l’art pictural. Il faut préciser ici, que Biro & Cohen Editeur est davantage connu et reconnu pour ses ouvrages sur l’art. Or, cette maison, depuis peu, a élargi son catalogue. C’est ainsi qu’elle s’est ouverte, d’un côté aux romans policiers traditionnels (avec la collection « Sentier du crime ») et de l’autre qu’elle a pris le parti de garder son identité éditoriale (celui du monde de la peinture) tout en la déployant sous formes d’ ouvrages proches des thrillers et des récits à suspense.
« Le plan Q » de Djuro Luy participe donc à installer cette collection sur le chemin voulu par l’éditeur d’autant que ce polar amorce, semble-t-il, une série -voire une saga- racontant les aventures de la détective Christine Bard-Muller. Une femme flic qui est apparue dans une enquête menée sur le vol de la Joconde sous le titre « Permettez-moi de ne pas signer », le précédent roman de l’auteur.
« Le plan Q », dans sa quatrième de couverture, nous précise que ce serait « un road-book où se rencontrent le vice et la vertu, l’art, la politique, l’Histoire, le sang et le désir ». Certes, sans aucun doute et cela est bien dit. Et s’il est vrai que le récit suit l’ordre d’un voyage au départ de Paris jusqu’à Bratislava et qu’il est ponctué de mille et une aventures, il convient tout de même de préciser que ce polar n’est pas seulement une sorte de journal de bord tenu, au jour le jour, par la détective Bard-Muller. C’est d’abord un roman noir qui mêle subtilement suspense et intrigue psychologique. Par ailleurs, la connaissance manifeste de Djuro Luy (mais ne serait-ce pas un pseudonyme qui cacherait le véritable nom d’un homme du métier ?) pour le commerce des tableaux de maîtres, les fortunés collectionneurs, les galeristes un peu véreux et la naïveté marchande des peintres fait de ce véritable thriller une sorte de visite guidée chez les « mafieux » de la barbouille. Des truands qui, croyez-le, n’ont pas plus d’éducation que leurs confrères spécialisés dans la came, le racket ou la prostitution, d’autres univers criminels qui, a priori, sont beaucoup moins chics que celui des pinces fesses, des ventes aux enchères et des commissaires priseurs londoniens ou new-yorkais. L’éventuel lecteur qui hésiterait à lire un « polar » traitant de l’art parce qu’il s’imaginerait que la rhétorique serait trop lisse, inappropriée à ce genre littéraire, doit savoir qu’il n’y a pas de pratiques mondaines lorsque l’on veut se débarrasser d’un cadavre et surtout faire en sorte qu’il ne soit pas identifié. Pour preuve, cette courte scène :
- Jean-Claude repris le marteau dont il s’était servi pour assommer Karol et commença à fracasser le visage du peintre étendu nu par terre (…). Il était dégouté, le fit maladroitement, à contrecœur, tapa trop mollement.
- Vas-y frappe ! On ne va pas passer la nuit.
- Tiens, vas-y donc toi. Tu dois en avoir l’habitude, de défoncer les gueules des mecs. Quand tu ne les suces pas.
Jaja ne répondit pas. Elle prit le marteau et de façon systématique, appliquée, elle écrabouilla le nez, tapa de toute sa force sur les tempes, le front. Les yeux jaillirent de leur orbite. Le crâne était trop résistant. Jaja l’abandonna pour se concentrer sur le visage.
Convaincu ? « Le plan Q » de Djuro Luy publié dans cette nouvelle collection « Art Noir » des éditions Biro-Cohen ne dépare pas des grands classiques du polar. Il s’y inscrit même avec bonheur.
Enfin, attendez-vous à savoir que Sherlock Holmes est en France. Enfin, on reparle de lui dans l’hexagone. En effet, une sympathique maison d’éditions installée dans le département du Maine et Loire a eu la bonne idée de demander à Philippe Tomblaine, auteur d’une petite dizaine de livres, professeur documentaliste et pédagogue de la bande dessinée (oui, cela existe !), de nous livrer « un panorama non exhaustif des différents ouvrages de Bande Dessinée parus aussi bien en langue anglaise qu’en langue française, tous essayant de solutionner cet unique problème : est-il finalement possible d’adapter Conan Doyle en Bande Dessinée ? »
La question posée trouve ses réponses dans les 215 pages de l’album –puisque cela en est un- de son auteur. Est-ce vraiment de la lecture ? Oui, bien sûr, et les textes, très agréables, participent beaucoup à comprendre pourquoi Philippe Tomblaine pose ainsi cette question. Mais ce livre, ce « Sherlock Holmes » est aussi, et peut-être avant tout, une très belle ballade parmi les reproductions, les extraits de BD, les iconographies et les photographies qui, évidemment, concernent toutes le roi des détectives anglais. Cette « Enquête dans le 9° art », sous-titre bien nommé de l’ouvrage, nous apprend moult choses sur la difficulté d’adapter, par le graphisme et les couleurs et dans un cadre de quelques centimètres, un personnage aussi complexe que Sherlock Holmes. Pourquoi ? Parce que « à suivre Holmes de case en case, et de prémonition déductives en flash-back explicatifs, le lecteur des aventures holmésiennes est essentiellement amené à poursuivre un ou plusieurs suspects sur un temps précis : celui de la résolution de l’énigme en cours (…) Une question de temps. Or, « en bande dessinée, le temps réel est distingué du temps narratif (…) un temps, plus ou moins long, sépare donc les différentes séquences (groupe de cases, strip, une ou plusieurs planche) contenues dans l’album. (…) Et ce n’est pas tout puisque, nous dit encore Philippe Tomblaine, « avec Sherlock Holmes, la dernière partie de l’aventure, non négligeable, est celle du temps de la compréhension : des témoins, des criminels, ou Holmes lui-même, expliquent l’enchaînement des faits dans une chronologie enfin reconstituée et rendue compréhensible ». Comment donc prendre en compte toutes ses données, ses charges faut-il dire, pour qu’un dessinateur et un scénariste puissent réussir une création ou une reprise adaptée des aventures de Holmes et ce, sans trahir l’esprit de Conan Doyle ? A ce sujet, les exemples fournis par Philippe Tomblaine sont nombreux, divers et précis et suffisent à nous convaincre, qu’en fin de compte Sherlock Holmes et son ami Watson peuvent, dans certaines conditions, être des héros récurrents de la bande dessinée. Et c’est tant mieux. Les références que nous donne l’auteur dans son album nous incitent, c’est certain, à courir vite chez notre libraire préférée pour découvrir, en BD, des aventures holmésiennes qu’à jamais nous aurions pu ignorer.
ERIC YUNG.
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