samedi 19 décembre 2009

Alain ROBBE-GRILLET

Alain Robbe-Grillet/ Chronique/ Yung





« L’écrivain doit accepter avec orgueil de porter sa propre date sachant, a écrit Alain Robbe-Grillet, qu’il n'y a pas de chef-d'oeuvre dans l'éternité, mais seulement des oeuvres dans l'histoire.» Cette phrase est tirée de son essai publié en 1963 (1). Robbe Grillet est mort dimanche dernier (21.02.09). Alors, c’est le moment de poser la question : que reste-t-il de l’œuvre d’Alain Robbe-Grillet ? Une vingtaine de romans et une petite dizaine de films ? Ce ne serait rien en effet si l’écrivain (et seulement l’écrivain) n’avait pas bouleversé l’académisme littéraire. C’est Alain Robbe-Grillet avec Nathalie Sarraute, qui, en quelques revers de mots ont balayé le style balzacien, c'est-à-dire la référence absolue en matière littéraire concernant la description narrative. Mais en reléguant d’un coup Balzac (et en le faisant savoir) dans l’armoire du passé, Robbe Grillet a exigé du roman qu’il soit « une remise en question permanente », un droit à une « perpétuelle renaissance » et, de facto, contester à un écrivain -et quelque soit son talent ou son génie- le droit « de régner sur sa création comme Dieu sur l’univers, éternellement ». Par ailleurs, le nouveau roman se veut, avant tout, être une recherche sans finalité, une exploration de l’inconscient dans laquelle les personnages et l’intrigue ne soient plus l’épicentre du récit mais qu’ils y soient dilués. Mise en valeur des objets, du temps, de la mémoire, de l’espace aussi et des obsessions de l’auteur c’est encore cela « le nouveau roman ». Et en effet, lorsqu’Alain Robbe-Grillet publie, en 1953 et 1955, ses deux ouvrages titrés « Les gommes » et « Le voyeur » il rejette la forme narrative traditionnelle qui fait du lecteur un « voyeur passif» de l’action romanesque. En revanche en renonçant à imposer une ambiance, en rompant avec la construction linéaire, en osant faire –en plein récit- des introspections ou des retours dans le temps, il laisse au lecteur une liberté d’exégèse et le rend donc actif dans l’interprétation du texte. Cette forme littéraire inconnue jusqu’aux années 50 perturbe tellement les défenseurs de la littérature académique qu’un journaliste du « Monde », Emile Henriot, se sent obliger de distinguer Nathalie Sarraute, Michel Butor, Simon, Robbe-Grillet et même Marguerite Duras des autres écrivains. Pour les réunir sous une même bannière il invente alors le terme « nouveau roman ».

Ne croyez pas que le « nouveau roman » a été reconnu dès sa naissance et qu’il a eu droit aux couronnes de lauriers. Non ! A l’époque, des critiques influents (dont Emile Henriot) se sont offusqués et ont dénoncé la transgression des règles romanesques. Ces aristarques ont été si violents que « La jalousie » une œuvre de Robbe-Grillet publiée en 1957 ne s’est vendue qu’à 746 exemplaires. A peine né le nouveau roman était donc mort. Beaucoup l’on cru. Mais il y a eu l’inattendu : le nouveau roman a pris ses lettres de noblesse aux Etats-Unis. Sans vouloir négliger les soutiens, (et ce, contre vents et marées) de Jean Paulhan, Maurice Blanchot, Georges Lambrichs et Roland Barthes, il faut bien admettre que se sont surtout des intellectuels américains qui ont porté le nouveau roman jusqu’au Panthéon des lettres françaises. Ainsi, Alain Robbe-Grillet a été–il l’est encore aujourd’hui – l’un des écrivains français le plus étudié dans les universités d’Outre-atlantique.



Alain Robbe-Grillet, académicien depuis 2004 mais qui, pareil à une dernière provocation, ne s’est jamais rendu sous la coupole parce qu’il ne supportait pas de porter l’habit vert, est mort dimanche dernier. Il avait 85 ans.

Il n’y aurait donc pas « de chef-d’œuvre dans l'éternité, mais seulement des œuvres dans l'histoire ». Certes ! Alors comment savoir ce qu’il restera des œuvres de Robbe-Grillet ?





Eric Yung.



(1) Pour un nouveau roman. 1963.

Francis CARCO, l'écrivain des minorités, des putains et des mauvais garçons.

FRANCIS CARCO/ CHRONIQUE ERIC YUNG


Né le 3 juillet 1886 et mort le 26 mai 1958.


Nous sommes le 26 mai 1958. Cette scène a eu lieu, réellement : imaginons-là ensemble.
Depuis la fin de l’après-midi, la Garde Républicaine défile et les sabots des chevaux cognent, en désordre, les pavés de Paris. Le cortège se meut maintenant dans l’Ile Saint Louis, emprunte le quai de Béthune et passe devant l’immeuble situé au numéro l8. Les cavaliers soufflent dans les clairons et les trompettes, battent la peau des tambours. La musique militaire monte dans l’air et, par une fenêtre grande ouverte, entre dans la chambre de François Carcopino-Tusoli. François Carcopino-Tusoli est allongé sur son lit. Il agonise. Mais au passage de la Garde il ouvre les yeux ; il reconnaît l’air de l’Ajaccienne, un air à la mode chanté par Tino Rossi et adapté pour la fanfare. Les cavaliers s’éloignent déjà et à peine ont-ils franchi le pont de Sully que François Carcopino-Tusoli rend son dernier souffle. Un grand écrivain vient de mourir au son de la musique de la Garde Républicaine. En effet, c’est le 26 mai 1958 que François Carcopino-Tusoli plus connu sous le pseudonyme de Francis Carco est mort.

Ce romancier, essayiste, poète et journaliste a, il nous faut le reconnaître, disparu (un peu ?) de notre mémoire. Un oubli qui apparaît comme une faute de goût collective tant Francis Carco a laissé une œuvre littéraire importante certes, mais surtout unique en son genre. Il faut dire que beaucoup de ses livres (il en a écrit plus d’une centaine) traitent des minorités, des prostitués et des mauvais garçons. Une source d’inspiration qui aurait été puisée – c’est en tous cas la version de nombreux historiens- à la source de son enfance. Pourquoi ? Parce que Francis Carco fils d’un inspecteur des domaines de l’Etat, fonctionnaire installé de longues années en Nouvelle-Calédonie, a vu –plusieurs fois par jour- passer sous les fenêtres de la maison familiale des milliers et des milliers de bagnards enchaînés, fouettés, maltraités. Par ailleurs, le père de Francis Carco était lui-même un homme violent ce qui aurait conduit, très tôt, l’auteur de « L’homme traqué » à se réfugier dans le roman et la poésie. Ceux et celles qui aiment les livres qui aspirent à un ailleurs fait de « rues obscures, de bars, de ports retentissant des appels des sirènes, des navires en partance et des feux dans la nuit » doivent lire vite Francis Carco. Il est toujours difficile de conseiller une lecture particulière mais j’ose pourtant –si vous ne connaissez pas du tout Carco- vous recommander de le découvrir par « Jésus la Caille » écrit en 1914, « L’homme traqué » bien sûr, roman qui a obtenu en 1922 le grand prix de l’Académie Française ou encore « La petite suite sentimentale » paru en 1936. Pour cerner un peu mieux l’esprit de Francis Carco et tenter d’approcher au plus près son art reprenons le court portrait de Roland Dorgelès. Il a dit de Carco : il est « prisonnier comme (les bagnards de Nouméa), mais prisonnier de lui-même, il n’a jamais pu s’évader. C’est toujours ainsi qu’il a vu le monde, observé les êtres, dans une brume de mélancolie que nul rayon de joie ne parvenait à percer ».

Francis Carco, qui a été l’ami de Colette, de Paul Bourget, d’Apollinaire, de Max Jacob, d’Utrillo et Modigliani, n’a pas été seulement un écrivain et poète célèbres. Il a écrit aussi de nombreuses chansons à succès, en particulier pour Fréhel et Marie Dubas. Edith Piaf quant à elle a immortalisé les paroles : « L’orgue des amoureux ».
Disparu à l’âge de 62 ans, le 26 mai 1958, François Carcopino-Tusoli dit Francis Carco est inhumé au cimetière parisien de Bagneux.


Eric Yung.