dimanche 26 juin 2011

Archives - mai 2011 de BSCNEWS MAGAZINE. Eric Yung.

UN POLAR, UN THRILLER ET UN ROMAN NOIR POUR TROIS HOMMES DERACINES.

« Le paradoxe du cerf-volant » de Philippe Georget aux éditions Jigal, « Maelström » de Stéphane Marchand chez Flammarion et « Cachemire Express » de Michel Embarreck édité par Pascal Galodé.



Un K.O ! Le polar de Philippe Georget, « Le paradoxe du cerf-volant » débute par ce qui est, bien souvent, une fin. D’ailleurs, cela en est une en quelque sorte. Pierre, le héros principal du roman, un boxeur professionnel de 27 ans pourtant promis aux lauriers du noble art, est dans les vaps. Au tapis qu’il est, assommé par son adversaire. Il peine à reprendre conscience, il tente « d’inspirer une bonne bouffée d’air » mais n’y arrive pas : son « nez est aussi bouché que l’anus d’une bigote constipée ». Alors, il veut glousser, avaler un peu de sa salive mais c’est trop dégueulasse parce qu’il a « des grumeaux dans la bouche », des « grumeaux qui ont le goût du sang ». Pierre a perdu, sans aucun doute, son ultime combat. Le gong a signifié la décision de l’arbitre et, pour Pierre, il a sonné pareil au glas. Terminé le champion qu’il a été, un peu. Adieu ses espérances et celles du vieil Emile, son pygmalion et entraîneur. Dès lors, et c’est presque un paradoxe, c’est le début de la véritable histoire de Pierre. Et Philippe Georget nous la raconte d’une belle façon. Un récit façonné avec talent pour tenir en haleine les lecteurs que nous sommes et ce, jusqu’à la dernière page.
Atrocités de la guerre serbo-croate, mémoire perdue d’une enfance tourmentée, histoire d’amour déchirée, amitié trahie, dérive alcoolique, boulot de merde pour le compte d’un usurier, anciens légionnaires devenus malfrats, flics un tantinet déglingués et des investigations criminelles qui, peu à peu, désignent Pierre, le déchu du ring, comme l’assassin d’Azlo. Azlo ? C’est son patron, un prêteur sur gages, un sale type pour qui Pierre joue les gros bras et qui a été découvert mort d’une balle dans la tête après avoir été torturé. Or, Pierre ne s’en cache pas : il est mal dans sa peau de cogneur chargé de récupérer, par la force, des impayés pour le compte d’une crapule. Malheureusement, les tourments d’un petit voyou sont souvent, pour des policiers, le mobile d’un crime. Et, en plus, comme les flics ont retrouvé l’arme du meurtre avec les empreintes de Pierre dessus, les enquêteurs se sont dit, tout de suite, qu’un ancien boxeur connu de leurs services pour des vols à la roulotte lorsqu’il avait treize ans, pour coups et blessures lorsqu’il en avait quinze pouvait, avec l’âge et l’expérience, être devenu un flingueur occasionnel. Mais l’auteur du « Paradoxe du cerf-volant », l’esprit malin en matière d’intrigue ne nous laisse pas tranquille. Cette version des faits est trop simple. La vérité est ailleurs. Elle est complexe, dramatique et terriblement humaine. « Le paradoxe du cerf-volant » tient à la fois du récit historique, du livre d’aventure, du roman noir et sociologique aux accents romantiques tels qu’il a été défini au XVIII° siècle c'est-à-dire comme une rébellion profonde à la logique et à la raison en faveur de l’exaltation des sentiments. Et puis, il faut oser le dire, l’écriture est agréable. Les phrases sont composées de mots simples et efficaces et sont dépouillées de toutes fioritures inutiles. Par exemple, ce passage du roman qui décrit un combat de Pierre contre un boxeur irlandais :

- « Je frappe devant moi. Je touche. Un coup sur deux au moins. Je vise le torse et le bas du visage. (…) J’entends frémir au bas du ring. Une droite bien ajustée sur la bouche de l’Irlandais a aspergé de sang les feuilles blanches des journalistes sportifs. Ceux qui n’ont pas l’habitude ont des vapeurs. (…) Je passe une série rapide. De bas en haut. Le foie, le sternum, la mâchoire, le nez. Une leçon d’anatomie. La tête de Sullivan ballotte comme si son cou ne la tenait plus. (…) Sullivan a posé un genou à terre ».

« Le paradoxe du cerf-volant » de Philippe Georget aux éditions Jigal est un polar exaltant dont le texte est beau et cruel à la fois.
                                                                       


Ce mois-ci, le meilleur conseil de lecture que BSCNEWS MAGAZINE peut vous donner en matière de polar est : cœurs sensibles abstenez-vous de lire « Maelström » de Stéphane Marchand ! Ce thriller qui vient de paraître aux éditions Flammarion est-il mauvais ? Non pas du tout. Mais si vous ouvrez le livre (et même si vous le faite juste pour vous avoir une petite idée de son contenu) tant pis pour vous. Le personnage principal, héros du roman, n’a pas –vous êtes prévenus chers amis lecteurs et lectrices- de limites dans l’art de trucider son prochain et ses pulsions sanguinaires sont bien supérieures à celles de Jack l’Eventreur qui, ici, dans ce roman, fait piètre figure au royaume des tueurs en série. Jugez-en ! Les sauts à l’élastique, on connaît. On a tous vus, au moins une fois à la télévision, un homme ou une femme, se jeter dans le vide, du haut d’un pont, d’une grue ou on ne sait de quel autre point haut et ce pour l’unique plaisir de sentir, paraît-il, l’adrénaline monter jusqu’au cerveau. Le « Maestro » comme se fait appeler le « sérial killer » de l’histoire racontée par Stéphane Marchand a eu la même idée pour commettre l’un de ses crimes. Il a accroché les pieds de l’une de ses vieilles connaissances avec plusieurs gros élastiques avant de le pousser du 52° étage d’un gratte-ciel de San Francisco. Au début, le saut s’est bien déroulé. Même que la victime qui « s’attendait que sa cervelle explose et s’éparpille sur le bitume » a eu « une envie de hurler son soulagement » quand son corps a commencé à remonter sous l’effet de la contraction du filin de caoutchouc Mais « le maestro » est un vicelard et un sadique. Il se plaît, pour chacun de ses meurtres, à faire croire à ses proies durant un temps qu’il a plus ou moins défini par avance, qu’ils échapperont à la mort. Foutaise ! Ainsi, le type suspendu à son élastique a bien « percuté le macadam de California Street ». Le stratagème du « maestro » est toujours bien au point et n’a qu’un but : effrayer ses victimes et jouir de leur martyr un peu plus longtemps. L’originalité de ce « thriller » façon « Ce cher Dexter » roman fameux de Jeff Lindsay dont a été tiré une série télévisée, est que le tueur de Stéphane Marchand est plutôt un brave type que l’on finit presque –et cela est un autre mystère du livre- par trouver sympathique. Dérangeant ? « Maelström l’est, sans aucun doute. Alors faisons fi d’une certaine gêne qui s’installe dans la tête du lecteur pour constater que cela pimente le récit. Par ailleurs, Stéphane Marchand qui a plus d’une astuce dans son sac pour mener à bien sa narration et, par voie de conséquence amplifier le suspens, s’est évertué à inverser les repères habituels du polar. Ainsi, dans une grande majorité de romans policiers, les enquêteurs progressent vers la vérité au fil de l’intrigue pour souvent, in fine, identifier le criminel, l’arrêter et l’envoyer devant la justice. Dans « Maelström » ces règles sont inversées. En effet, plus les condés ont des indices et sont donc sensés se rapprocher du tueur, plus ils s’éloignent de lui. Il faut préciser que « le maestro » est un sacré tordu et que ses crimes sont tous planifiés avec méthode et accomplis avec une précision d’horloger suisse. Enfin, dans ce roman qui nous balade de la Californie à la Pennsylvanie, l’auteur semble avoir voulu lui donner une dimension quelque peu universelle en effleurant des sujets tels que l’amitié, l’enfance, la famille, la trahison et l’expiation. Est-ce là une nécessité pour la qualité du roman ? Ce n’est pas certain. Mais une chose est sûre : la lecture de « Maelström » est, pour ceux qui ont aimé « La partition du voyageur », prix du premier roman en l989 et édité au Mercure de France, une façon de découvrir une des nouvelles facettes de Stéphane Marchand, un auteur plutôt doué (aussi) pour le polar.



                                                                             

La noirceur et la désespérance qui imprègne « Cachemire Express » de Michel Embareck, édité chez Pascal Galodé, font de ce roman noir une sorte d’épopée dans laquelle un homme veut se réapproprier son passé, ses souvenirs, ses bonheurs d’antan. Ceux qu’il a laissés un jour de juin 1968 lorsqu’il est monté à bord d’une Jeep occupée par trois militaires. Un véhicule couleur « caca-d’oie » qui l’a conduit jusqu’à la caserne, celle de la Légion Etrangère dans laquelle il s’était engagé pour cinq ans. Et, en septembre 1973, après avoir secoué la poussière de ses guêtres sur les terres de Corse et de Guyane, il a débarqué à Djibouti. C’est ici, dans cette ville ouverte sur la mer rouge, qu’il a choisi sa nouvelle identité selon la tradition de la Légion. Un nom volé (Dimitri Tiomkin) sur l’affiche du film « Alamo » punaisée sur le mur d’un bar malfamé. Et les années ont passé : quarante, exactement ! Le légionnaire après avoir soufflé ses soixante bougies a décidé qu’il était temps de rentrer au bercail, de « défricher enfin la jungle de sa généalogie personnelle et que sa Bhoutanaise d’épouse sache à quoi ressemble le pays des Droits de l’Homme ». Mais, patatras ! Ce n’est pas de la faute à Voltaire ni à celle de Rousseau mais son pays natal a bien changé. On y vit dans la crainte, dans la peur. Et ce légionnaire qui porte un nom bizarre, accompagnée d’une femme aux yeux bridés, au visage mat et venue du fin fond de l’Asie du Sud, lorsqu’il débarque de l’avion et qu’il passe les contrôles de l’aéroport de Roissy, est aussitôt soupçonné d’actions terroristes. Tout a changé dans son pays. Même lorsqu’il veut retrouver la tombe de son grand-père et qu’il se renseigne chez le vieux Lucien, un homme de la campagne « qui n’a jamais eu la moindre pétoche, même quand des saletés de cabots le coursaient » avait peur. Il est vrai –c’est le vieux Lucien qui lui a dit – que « plus personne ne respecte rien. Les marmots ne savent plus lire, ni écrire, sauf pour barbouiller des âneries sur les boîtes aux lettres ou sur la guitoune de l’arrêt de bus. Et que je te casse les rétroviseurs, et que je te raye les bagnoles et je te bois de la bière… ». Et pour preuve que plus rien ne va dans ce foutu pays on est appelé à faire attention partout dit encore Lucien au vieux légionnaire : « même au supermarché, à l’entrée, il y a un panneau qui dit pour votre sécurité, ce magasin est placé sous vidéosurveillance. Pour votre sécurité hein… tu m’entends. Ca veut bien dire ce que ça veut dire… ».
« Cachemire Express » de Michel Embareck se lit pareil à un roman de Dashiell Hammet, les coups de calibres en moins.

Eric YUNG