samedi 30 avril 2011

POLARS & ROMANS NOIRS ~~ CHRONIQUES ERIC YUNG tirées des numéros parus de BSCNEWS MAGAZINE.

Polar : Deux mamies et une pin-up


SAMEDI, 12 MARS 2011 09:05 LE COIN DES LIVRES - LES POLARS


Par Eric Yung - BSCNEWS.FR / La lecture d’un bon polar – et chacun l’a remarqué - provoque souvent un étrange sentiment : appartenir à l’histoire que nous raconte l’auteur. En effet, il arrive que, emporté par l’action et ce quelquefois dès les premiers mots du livre, on s’identifie à tel ou tel personnage du récit. Evidemment cette étrange manifestation est l’un des signes qualitatifs de la réussite narrative. Il n’empêche : c’est terrible parfois !
Il en est ainsi de "Un jaguar sur les toits" de François Arango.

Carmen est une vieille dame, la fidèle servante de Daniel Lombardo Castillo, homme très riche, patron d’un « gros laboratoire américain » installé à Mexico. Or, Castillo a disparu depuis trois jours. Carmen est seule dans la grande demeure familiale des Castillo « close de murs de briques rouges » surmontées de « tessons de bouteille plantés dru comme des chevaux de frise » et d’un « fil barbelé tortillé comme une vigne » lorsqu’un môme, fringué d’un pantalon affalé sur des baskets mal lacées et d’un polo dégoulinant de sueur, vient lui apporter une boîte métallique hermétiquement close et « foutrement glacé ». Alors, dès maintenant, imaginez, chers amis de BSCNEWS Magazine, que vous êtes dans la peau de Carmen, la domestique dévouée depuis près de vingt cinq ans à son cher monsieur Castillo. Que ressentiriez-vous lorsque, après avoir ouvert la boîte métallique dont l’intérieur « est capitonné de glace » et que vous la teniez toujours dans vos mains, si vous vous trouviez devant « cette… chose que, de prime abord, il est impossible d’identifier » mais qui est « une sorte de pièce de viande oblongue, recouverte de givre » ? Il est fort probable que, pareille à la fidèle Carmen, vous vacilliez, qu’assommé par le choc de votre découverte vous tentiez de vous « rattrapez au chambranle de la porte » et qu’après avoir posé sur le banc du jardin, sous le soleil, « la boîte béante » qui contient « une pièce de viande, du muscle pour être clair » vous vous réfugiiez dans la maison. Mais ce n’est pas fini. Quelques minutes ont passé. Vous avez repris vos esprits et tout comme Carmen vous surmontez votre frayeur et retournez voir l’intérieur de la boîte métallique. Et là, de nouveau le cauchemar. Pourquoi ? Parce que « le soleil a fini de faire fondre la glace » et, devant vos yeux et de ceux de Carmen, « un morceau de chair pantelante se contracte, avec une lenteur de métronome, à demi recouvert par une eau rougeâtre. Revenu à la température ambiante, le cœur de Daniel Lombardo Castillo bat. Seul. Avec la régularité mécanique des pulsations électriques qui persistent, comme une ultime survivance, plusieurs minutes après la mort ».
« Le jaguar sur les toits » nous entraîne au cœur du Mexique (un pays que l’auteur connaît bien pour y avoir fait ses études), nous en fait découvrir sa culture et nous invite à un voyage initiatique parmi les traditions aztèques. L’irritable commissaire de police chargé de l’enquête sur la mort de Castillo, un flic aidé dans sa tache par un étrange anthropologue, un suspect, sorte de gnome boiteux au corps déformé et tous les autres personnages du livre ajoutent de la force à une histoire aussi passionnante que haletante. François Arango a plutôt bien réussi son « Jaguar sur les toits » même si, l’écriture est parfois alourdie par l’excès d’adjectifs qualificatifs et un style quelquefois trop lyrique. Reste, et c’est certain, que le premier roman de François Arango est un polar à découvrir.





Il y a chez les « gonzesses » de la romancière Megan Abott, qui signe aux éditions du Masque « Adieu Gloria », une délicieuse perversité faite de cruauté féminine mâtinée d’un charme, à peine discret, d’érotisme. Le langage argotique de la pègre new-yorkaise, l’époque de l’histoire située dans les années cinquante, l’univers crasseux des cercles de jeux et leurs arrières salles clandestines occupées par des demi sel aux services de caïds donnent à ce thriller, peu banal, une allure un peu désuète pour mieux imposer son efficacité. C’est cela, en effet : Megan Abbott a écrit un roman noir efficace ! Le récit développe, avec beaucoup de subtilité, les personnalités de deux dames du « mitan ». L’une, prénommée Gloria, « a des jambes d’une danseuse de revue de vingt ans à Vegas, trente mètres de long, avec juste ce qu’il faut de courbes, d’élasticité et de promesses ». L’autre, « la petite » qui est la « cadette de Gloria de deux décennies » a aussi « une jolie silhouette et une frimousse à faire rêver les anges » mais elle ne sait pas grand-chose de la vie ; elle a tout à apprendre et c’est Gloria qui devient son pygmalion. Gloria et la petite : un duo de femelles prêt à en découdre avec les mâles qui sont tous « des bons à rien, des cyniques, des flambeurs, des zozos, des caves». Pour les deux femmes l’avenir est devant elles, la réussite sociale est simple à conquérir tant les garçons, qui tiennent les rênes des jeux clandestins des bastringues du quartier Est de la ville, sont tous pareils : ils frémissent au froufrou d’un jupon, se laissent emporter par leur virile vanité. Il suffit donc de les séduire pour connaître le succès financier. Mais, c’est bien connu, l’imprévu donne toujours rendez-vous aux projets trop bien huilés. Et l’imprévu a une gueule de minet et se donne des airs d’Hidalgo. Il se prénomme Vic. La petite en tombe « raide dingue ». Gloria en veut à sa protégée mais c’est l’amant qui trinque. Tant pis pour lui. Il est tué et, après un période post-mortem de quelques jours enveloppé dans un sac de jute, il est enterré en rase campagne, à vingt bornes de la ville. Pelle à la main c’est la petite qui creuse la tombe devant Gloria : « Le souffle court, les bras tendus, l’air lourd et humide emplissant ma bouche à demi ouverte, dans laquelle le vent fait entrer des particules de terre et de saleté. J’ai l’impression d’avoir tout le corps recouvert d’une couche de puanteur, de cette matière putride qui le recouvre, de tout ce qui s’est écoulé de lui (…) dans tout ce j’absorbe à chaque respiration infecte. Tout cela c’est Vic, enfin c’était ce que nous avions fait de lui (…) ».

Pour résumer l’esprit du récit : « Adieu Gloria » raconte un peu la vieille histoire de Faust. Vendre son âme pour connaître la richesse et une vie de plaisirs ? La petite est prête à le faire. Mais le diable ici, dans le roman Megan Abott, n’est pas Méphistophélès. Il s’appelle Gloria. Et c’est pire.




Intéressons-nous maintenant à Georges-Jean Arnaud. Tous les amoureux du polar connaissent son nom qu’il ne faut cependant pas confondre avec Georges Arnaud, l’auteur du « Salaire de la peur ». G.J. Arnaud est âgé de 83 ans. Et, pour bien le situer, il suffit de se souvenir qu’il a été surnommé « le forçat de l’Underwood » pour avoir, à la demande de ses éditeurs, écrit presque jours et nuits et ce, durant des années. Un travail titanesque qui l’a obligé quelquefois –pour tenir le coup et selon ses propres confidences- à absorber des substances chimiques aujourd’hui interdites par la loi. Reste que l’œuvre –puisqu’elle en est une ! – de G.J Arnaud est considérable. Sans pouvoir être précis ses biographes estiment qu’il a signé de son nom mais aussi sous 20 pseudonymes différents 400 titres et sans doute même un peu plus. Romans policiers, d’espionnage, fantastiques et érotiques, quelques fictions régionalistes… tous des ouvrages aujourd’hui recherchés par les collectionneurs. Il ne faut pas omettre –pour être au plus près de la réalité arnaudienne de signaler « La compagnie des glaces », un feuilleton dont les épisodes ont été regroupés en 62 tomes. Et, pour dire encore la fébrilité créatrice de cet auteur exceptionnel, il a aussi signé une bonne vingtaine de scénarios de films pour le cinéma et la télévision sans oublier les deux pièces de théâtre. Ainsi, pour les éditions Plon et sa récente collection « Noir Rétro », dont BSC NEWS MAGAZINE vous a déjà parlé, il était inévitable de rééditer au moins un roman de G.J. Arnaud. Il s’agit de « Noël au chaud », un polar paru pour la première fois en 1979 aux éditions Fleuve Noir. Le critique fameux et érudit de la littérature policière, Michel Lebrun, a écrit au sujet de G.J Arnaud qu’il est « avant tout un regard porté sur la société française ». Et c’est bien le cas avec « Noël au chaud ». L’histoire que nous raconte le « forçat de l’Underwood » est celle d’une vieille femme, Raymonde Mallet qui « lorsqu’elle passait sur la route, tirant sa poussette à provisions derrière elle, n’imaginait que des regards la suivant d’une maison à l’autre, que des femmes à l’affût derrière leurs rideaux, qui hochaient la tête avec un mélange de pitié et d’irritation, surveillant sa démarche déhanchée depuis cette fracture du col du fémur l’année dernière ».

Raymonde, veuve, âgée de 76 ans, habite un village de Provence et occupe une maison bien trop grande pour elle que beaucoup de gens rêvent de récupérer. Pour en faire quoi ? La détruire et construire à sa place un lotissement qui rapporterait à la commune beaucoup d’argent. Mais Raymonde est attachée à sa demeure, lieu où elle a passé une grande partie de sa vie et partagé, avec son mari, des longs moments de bonheur. Alors, vendre sa maison ? Jamais. Un entêtement qui contrarie les voisins de Raymonde : eux étaient prêts à céder leurs vieilles bâtisses et leurs terrains pour profiter de l’argent des promoteurs immobiliers. Dès lors, (et c’est tout le talent de G.J Arnaud) l’auteur nous plonge dans l’univers d’une petite commune située près de Toulon, microcosme humain où, depuis des lustres, ce sont concentrés les rancœurs, les jalousies et les haines. Pour faire partir Raymonde, pour qu’elle abandonne sa maison, tous les coups sont permis. Mais la vieille dame résiste. Raymonde n’est pas une gentille mamie. Elle va se battre, bec et ongles, pour garder son bien. Dès lors, G.J Arnaud nous tisse une intrigue criminelle remarquable. Le style dépouillé, la limpidité narrative, la clarté de l’intrigue, la description des sentiments humains avec des mots dont l’efficacité fait ressembler le texte à une peinture en clair-obscur, font que « Noël au chaud » est un superbe et cruel roman.





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Et deux romans noirs surgissent du passé

La tendance est au « vintage » paraît-il. Nous aurions donc besoin (enfin, plus ou moins) de retrouver de l’authentique qui fut à la mode avant la décennie 80. Est-ce la raison qui a conduit les éditions Plon à lancer la collection « Noir Rétro » ? Peut-être. « Rictus » de Jean-Pierre Ferrières et « Fratelli » de Jean-Bernard Pouy, illustré par Joe G. Pinelli.

En tous cas, depuis juillet dernier et grâce à elle, une belle opportunité nous est donnée : relire ou découvrir des écrivains de l’hexagone qui ont, en leur temps, honoré le polar français. Les trois premières parutions ont consacré : Auguste Le Breton, Brice Pelman, André Héléna et Pierre Lesou. Et, aujourd’hui, c’est au tour de Jean-Pierre Ferrières de revenir à la une de l’actualité éditoriale et ce, avec la réédition de « Rictus ».
Les plus jeunes lecteurs et lectrices du BSC NEWS ne connaissent peut-être pas cet auteur qui a signé, depuis 1957, une centaine de romans sans oublier les dizaines de scénarios pour le cinéma et la télévision, une comédie musicale et quelques chansons. L’occasion de connaître (ou de mieux apprécier) l’œuvre de ce romancier talentueux est donc offerte. Et c’est tant mieux ! En effet, la virtuosité narrative de cet auteur lui permet de parler des choses familières de l’existence, de ces événements anodins et a priori insignifiants mais qui recèlent pourtant les ingrédients du drame à venir. Jean-Pierre Ferrières le reconnaît : « tous mes personnages pensent que la vie est lamentable et qui, a un moment donné, selon les circonstances du hasard, sont amenés à changer complètement de vie mais souvent pour le pire ». Il en est ainsi dans « Rictus » ce roman qui a été publié pour la première fois, en 1972, aux éditions « Fleuve Noir ». L’histoire est simple, enfin le croit-on en son tout début. Mathieu Collard, 34 ans, employé aux écritures dans une cartonnerie est plutôt un homme heureux. Père d’un enfant, il est marié à Jeanne, une jolie jeune femme. Mathieu, homme honnête, a toujours trimé pour donner à sa famille du bien-être. Et puis, un jour, son médecin lui apprend qu’il est gravement malade : un cancer. Ses jours sont désormais comptés. Dès lors, Mathieu s’inquiète pour son épouse et son fils. Quel sera leur avenir ? Qui paiera les traites de la maison ? Que va devenir Jeanne qui a arrêté de travailler pour élever le petit ? Il se doit de trouver de l’argent. Mais comment ? La solution lui est proposée par l’assistante de son médecin traitant : rendez-moi service lui demande-t-elle, tuez un homme pour moi. Vous serez bien payé.

Mathieu accepte de devenir un tueur. Il commet le meurtre et reçoit son argent.

Jusque là, reconnaissons-le, il n’y a que de l’ordinaire. Ce sujet, celui d’un homme malade qui n’a plus rien à perdre, prêt à faire n’importe quoi pour changer la vie de ses proches, a été traité des centaines de fois dans la littérature. Mais Ferrière est un auteur facétieux : son intrigue ne fait que débuter. En effet, tandis que la famille de Mathieu est maintenant à l’abri des soucis financiers… c’est le drame. Un accident de voiture : Jeanne et François, le petit garçon, sont tués sur le coup. Matthieu n’est que légèrement blessé. Il est conduit à l’hôpital et apprend ce jour-là qu’il n’a pas de cancer, qu’il n’en a jamais eu. Mathieu comprend alors qu’il a été manipulé par son médecin traitant et son assistante. Que se passe-t-il maintenant ? Chut ! Pour le savoir, il faut lire « Rictus » de Jean-Pierre Ferrières, un très bon roman populaire qui sait entretenir le suspens jusqu’à sa dernière page.






Autre livre venu du passé : « Fratelli », un court roman de Jean-Bernard Pouy, illustré par Joe G. Pinelli. Publié une première fois très discrètement en 2006 chez Estuaire, une maison belge, ce livre revient sur les étagères des librairies via les éditions J.C Lattès. Et quel bonheur ! Pouy nous démontre (s’il en était besoin) qu’il n’est pas seulement le libertaire-humoriste créateur du « Poulpe », père de Gabriel Le Couvreur ou celui de Pierre de Gondol le libraire enquêteur, l’auteur (entre autres ouvrages) de la trilogie « Spinoza encule Engel ». Non ! Ici, avec « Fratelli » Jean-Bernard Pouy s’impose : c’est certain, il est un grand romancier.

« Fratelli » raconte l’histoire de deux frères, Emilio et Ercole, nés en Sicile. Elle débute au tout début du XX° siècle et rebondit en 1946, à New-York, exactement dans le quartier de « Little Italy ». Si Ercole s’est expatrié au pays de l’oncle Sam durant l’été 1906 ce n’est pas pour y faire fortune. Ercole « a fui, protégé par le code familial, exilé de force, après avoir tué sauvagement Roberto, sous un des oliviers de la colline de Sant’Ambrogio, de trois coups de couteau ». Et Emilio, qui a toujours gardé « cette lame ou était inscrite la permission d’entrée aux limbes : Che la mia ferita sia mortale » (…) en creux noirâtres, sans doute encore remplis du sang séché de son jeune frère » a attendu quarante ans pour traverser l’Atlantique. Il a fini par le faire parce qu’il devait « honorer définitivement la tombe » de son cadet (…) « pour la détruire de l’intérieur, casser le bois du cercueil, déchirer le suaire et libérer l’âme de Roberto, enlevé, comme on dit, à l’affection des siens et des proches, à l’âge maudit de dix-huit ans ». Emilio a quitté son île pour la grosse pomme. Il est donc monté à bord du paquebot le « Savona Ligure » et a débarqué à South Street Seaport . A peine les pieds posés sur le quai numéro vingt-neuf « il tenta de se souvenir de l’odeur du jasmin qui s’échappait des cours emmurées, de celle de la sambucca qui imprégnait les tables de bois du café, pour ne plus penser à ce parfum d’acide froid qui émanait d’un fleuve aussi glauque que la pisse d’une vache malade ». Emilio est à New-York. Il y est venu pour retrouver son frère et ce au nom de l’inéluctable vengeance. Jean-Bernard Pouy narre ce récit avec des phrases sobres, dépouillées. Pouy ne s’égare pas dans des descriptions complexes. Il décrit et il peint et cela suffit. Ses mots nous disent avec justesse ce qu’est vraiment « le bleu du ciel de Sicile » et « le bruit de la Ville. Cette énorme et moderne rumeur. Plus menaçante que le fracas d’un milliard de cigales ».

Certes, l’intrigue est bien menée et les lecteurs que nous sommes sont impatients de tourner les pages pour connaître la fin de la tragédie « Fratelli » et l’on pourrait se réjouir de lire un roman réussi. Mais plus que ça : ce livre est beau et notre plaisir de lecture n’en est que plus fort et plus dense. Par ailleurs, les illustrations, dessins sombres et pudiques de Joe G. Pinelli, ajoutent non seulement de l’esthétisme à cet ouvrage présenté en format de poche mais il lui donne aussi la mesure de ce qu’il est : puissant.





1 - Pour les rééditions respectives de : Du rififi chez les femmes, Attention les fauves, Le Demi-sel et le Doulos.

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